ANALYSE FISCALE

Management fees

Dans une décision rendue par le Conseil d’Etat en date du 4 octobre 2023 (CE 9e-10e ch. 4-10-2023 n° 466887, Sté Collectivision), celui-ci a ouvert l’horizon concernant le versement de management fees en considérant que verser des « management fees » pour que le dirigeant exerce ses fonctions n’est pas anormal en soi. A rebours de la ligne jurisprudentielle historique considérant qu’une société ne peut pas conclure une convention avec une autre société pour la réalisation de missions de direction qui sont en principe dévolues au dirigeant, le Conseil d’Etat indique de façon inédite qu’il n’y aurait pas nécessairement un acte anormal de gestion.

Rappel de la jurisprudence historique en matière de management fees

  • On se souvient aisément que le départ de la construction jurisprudentielle en matière de management fees a été initié par la Cour de cassation. En effet, par deux fois, la juridiction suprême avait jugé qu’était dépourvue de cause, faute de contrepartie réelle, la convention conclue entre une société X et une société Y à titre onéreux pour la société X, qui fait faisait double emploi avec les fonctions sociales exercées par le dirigeant de la société X. En cause, les missions suivantes étaient confiées au prestataire:
    • l’action commerciale, la gestion industrielle, la gestion des ressources humaines, la gestion administrative et financière et la stratégie générale (arrêts Samo gestion (arrêt Samo gestion, Cass. com 14-09-2010 : n° 09-16084, Gaz. Pal. 16-17 nov. 2011, p. 17) ;
    • la création et le développement de filiales à l’étranger, la participation à des salons professionnels, la définition des stratégies de vente dans différents pays et la recherche de nouveaux clients à l’étranger (Arrêt Mecasonic, Cass. com. 23-10-2012 n° 11-23.376 F-P : RJDA 2/13 n° 122).
  • Portée par une méfiance renouvelée, la jurisprudence avait creusé le sillon en considérant ultérieurement que faisait double emploi le conseil en matière de management, de stratégie de développement et de croissance externe, de comptabilité et de gestion (CA Paris 4-7-2013 n° 11/06318 : RJDA 11/13 n° 897).
  • En revanche, les juges ouvraient la voie en deux points particuliers. Rien n’empêche de déléguer certaines fonctions dans la mesure où elles sont distinctes. En pratique, on considérera qu’elles sont techniques. Par exemple : conseiller l’associé sur le suivi de l’activité de la SAS en vue de sa cession, le suivi portant sur la gestion et le développement de cette activité, la définition des stratégies, les relations avec les clients, les axes de développement du chiffre d’affaires, la gestion de ses usines et l’adaptation des actifs industriels et des moyens de production (Cass. com. 12-12-2018 n° 16-15.217 F-D : RJDA 3/19 n° 191). Ou alors parce la répartition des missions résulte du silence des statuts. Une solution qui n’est valable que pour les SAS. En effet il avait été rappelé que parce que l’article L. 227-5 du Code de commerce disposait que « Les statuts [de la SAS] fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée » et parce que c’était le cas en l’espèce, il n’était pas interdit à cette société de confier sa direction générale à un tiers par voie conventionnelle (Cass. com. 24-11-2015 n° 14-19.685 F-D : RJDA 2/16 n° 128).

La décision rendue par le Conseil d’Etat le 4 octobre 2023

  • Le Conseil d’Etat juge que :
    • La conclusion par une société d’une convention de prestations de services avec une autre société pour la réalisation, par le dirigeant de la première, de missions relevant des fonctions inhérentes à celles qui lui sont normalement dévolues ne relève pas d’une gestion commerciale anormale si cette société établit que ses organes sociaux compétents ont entendu en réalité, par le versement des honoraires correspondant à ces prestations, rémunérer indirectement le dirigeant et qu’ainsi ce versement n’est pas dépourvu pour elle de contrepartie, le choix d’un mode de rémunération indirect ne caractérisant pas en lui-même un appauvrissement à des fins étrangères à son intérêt ;
    • L’absence de versement, par une société, d’une rémunération à son dirigeant au cours d’un exercice ne constitue pas une décision de gestion faisant obstacle à la rémunération de ce même dirigeant, sur décision des organes sociaux compétents, au cours d’un exercice postérieur, le cas échéant à titre rétroactif, ou, au cours du même exercice, par l’intermédiaire d’une autre société.
  • Comment expliquer la position du Conseil d’Etat ? Il est clair que cette décision ne s’inscrit pas directement dans la lignée jurisprudentielle précitée qui visait la nullité de la convention en question. Or, en l’espèce, l’analyse se porte sur la question de l’acte anormal de gestion et les conséquences sont bien différentes. En effet, la lecture de l’administration fiscale et de la Cour administrative d’appel de Marseille avait été de considérer qu’il y avait un acte anormal de gestion dans la mesure où des honoraires avait été versés à une société tierce, bien que partageant le même gérant, là où la société ne rémunérait pas son propre gérant et pour des missions qui relevaient du champ du gérant, ces dernières n’étant ni spécifiques, ni distinctes, ni techniques. Administration fiscale et Cour administrative entendaient par là qualifier l’acte anormal de gestion résultant du doublon (payant) des missions effectuées.
  • Mais, le Conseil d’Etat rappelle, en se fondant sur sa propre définition jurisprudentielle en la matière, qu’il n’y a pas eu d’acte anormal de gestion car il n’y a acte anormal de gestion que lorsque l’entreprise agit et décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt (CE plén. 21-12-2018 n° 402006, Société Croë Suisse). Or, « en elle-même, la décision de verser à son gérant ou dirigeant une rémunération indirecte plutôt que directe n’emporte pas appauvrissement d’une société. Au contraire, elle peut même, lorsque le montage permet d’éviter le versement de cotisations sociales, réduire la charge liée à la rémunération des fonctions de direction. La pratique est peut-être pendable voire susceptible, si tant est qu’elle n’ait eu d’autre but, de caractériser une fraude aux cotisations sociales ou de soulever des interrogations sur la TVA déduite, mais elle n’appauvrit pas l’entreprise« .
  • Ainsi, il n’y a pas d’acte anormal de gestion qui résulterait de la conclusion d’une convention de prestations de services rémunérée de fonctions de direction à une société tierce partageant le même gérant, alors que son gérant est non rémunéré, et pour les mêmes fonctions, si et seulement si la décision de la société de rémunérer ainsi indirectement son dirigeant est délibérée. Dans le cas contraire, il en résulterait un appauvrissement constitutif d’un acte anormal de gestion. Et allant au bout de son raisonnement, le Conseil d’Etat de conclure que l’absence de rémunération directe ne constitue pas un obstacle à une rémunération indirecte. Ce que détermine le Conseil d’Etat est donc double : une rémunération indirecte doit se décider de façon délibérée, donc elle ne se sous-entend pas et doit être établi par les organes sociaux de la société, et le fait de ne pas rémunérer son gérant directement n’exclut pas une rémunération indirecte. Il est dès lors entendu que tout doublon en terme de rémunération provoquerait dès lors un appauvrissement, sauf caractérisation de missions disctintes.

Portée de l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat

  • Dans son approche pragmatique, le Conseil d’Etat, par la voix de sa rapporteure publique Emilie Bokdam-Tognetti, reconnaît qu’il s’agit de tenir compte ‘de la finalité réelle de ces opérations et du montage visant à organiser, fût-ce de manière peut-être illicite (sic) au regard d’autres pans du droit, la rémunération indirecte des fonctions assumées par le gérant ou dirigeant‘.
  • Premièrement, il est louable que le Conseil d’Etat reconnaisse son approche pragmatique, visible dans sa lecture non-restrictive de l’affaire. Ce qui était sûrement dicté ou permis par les faits particuliers de l’espèce. On le rappelle une société avait conclu une convention de prestations de services à titre onéreux pour des fonctions de direction avec une autre société dont le gérant était également le gérant non rémunéré de la première. Or la pratique déconseille toujours ce type de schéma où des doublons de mission de fonctions de direction sont avérés, de sorte qu’on peut se poser la question de la portée réelle de cette décision… En outre, la rapporteure indique bien que cette décision ne remet pas en cause la jurisprudence établie sur les management fees rémunérant des fonctions ou prestations distinctes du mandat social ou des missions d’assistance permettant au dirigeant d’exercer son mandat dans de meilleures conditions.
  • Deuxièmement, en faisant dériver le débat sur la finalité réelle des opérations, en outre sur la question de la rémunération indirecte, et en particulier sur la question du caractère établi et délibéré de celle-ci, cette décision pourrait aussi ouvrir la porte à l’administration fiscale pour d’autres chefs de redressement tout aussi problématiques. Comment conseiller aujourd’hui d’inscrire délibéremment que la rémunération serait indirecte sans avoir à l’esprit que la justification la plus probable soit le fait que l’on souhaite éviter le paiement de charges sociales ou d’avoir une meilleure situation TVA ? Si l’on comprend la nécessité d’écarter le risque de tomber sous le coup de la notion de rémunération ou avantage occulte constitutif d’une distribution irrégulière au sens de l’article 111, c du CGI, ou que normalement le fait que le contribuable opte pour la solution la plus avantageuse au plan fiscal ne permet pas de conclure à l’abus de droit, difficile d’imaginer que l’administration fiscale se satisfera de cela. Encore faudra-t-il attendre la décision de la Cour d’appel de renvoi pour se faire une idée de l’application de ce principe.
  • Au final, cette décision est heureuse car elle permet de ne pas sanctionner immédiatement les espèces similaires, même si c’est au prix de justifications dont on ne maîtrise pas encore les contours. Pour le reste, on conseillera toujours de rester prudent sur ce type de schéma, dont le plus naturel serait encore de ne pas faire doublon avec des fonctions de direction…

Pour retrouver la décision du Conseil d’Etat, c’est ici.

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2 Commentaires

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